Prescription et contrefaçon : chaque acte de diffusion compte

La Cour de cassation, dans un arrêt du 3 septembre 2025 (1re civ., n° 23-18.669, publié au Bulletin), vient préciser le régime de prescription applicable en matière de contrefaçon de droits d’auteur. Cet arrêt, promis à une large diffusion, intéresse tout particulièrement le secteur musical, où les œuvres sont exploitées de manière continue, notamment via les plateformes numériques.


Les faits

Les créateurs du générique de la série animée Code Lyoko (« Un monde sans danger », déposé à la SACEM en 2004) estimaient que leur œuvre avait été reprise par le groupe Black Eyed Peas dans le titre « Whenever », publié en 2010.

S’ils avaient adressé une mise en demeure dès 2011, ce n’est qu’en 2018 qu’ils ont engagé une action en contrefaçon contre les auteurs du titre, ainsi que contre les sociétés de production, d’édition et de distribution.


La position de la cour d’appel

La cour d’appel de Paris (17 mai 2023) avait jugé l’action prescrite.
Selon elle, le délai de cinq ans (art. 2224 C. civ.) commençait à courir dès la mise en demeure de 2011, et les exploitations ultérieures de l’album (vente, diffusion en ligne) n’étaient que le prolongement normal de l’exploitation initiale.


La solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse cette décision :

  • Chaque acte de reproduction, représentation ou diffusion constitue une contrefaçon autonome.
  • La prescription court pour chaque acte, à compter du jour où l’auteur a pu en avoir connaissance.
  • Ainsi, la mise à disposition de l’œuvre litigieuse sur des plateformes de téléchargement en 2018 ouvrait un nouveau délai de cinq ans.

Mise en perspective avec la jurisprudence antérieure

Jusqu’ici, la jurisprudence tendait à considérer que l’exploitation d’une œuvre se rattachait à un acte initial unique (la mise sur le marché), les diffusions ultérieures n’étant que son prolongement.

La Cour de cassation adopte ici une conception plus fragmentée et protectrice : chaque diffusion ou mise à disposition est un fait distinct, générateur d’une nouvelle prescription.

Cette orientation s’inscrit dans une tendance déjà perceptible dans certaines décisions récentes, notamment en matière de contenus diffusés en ligne, mais elle marque un renforcement clair de la protection des titulaires de droits.


Intérêt pratique

  • Pour les auteurs et éditeurs : la possibilité d’agir en contrefaçon ne se ferme pas cinq ans après la première commercialisation ; tant que des exploitations nouvelles se produisent, le droit d’agir demeure.
  • Pour les exploitants et diffuseurs : l’arrêt accroît le risque juridique, car une exploitation ancienne peut donner lieu à des actions tant qu’elle est réitérée.
  • Pour la pratique judiciaire : la décision, publiée au Bulletin, devrait constituer une référence pour toutes les affaires de contrefaçon impliquant des diffusions successives, notamment dans le contexte numérique.

En résumé : La prescription ne s’apprécie plus globalement au regard du premier acte contrefaisant, mais acte par acte. Une clarification essentielle, adaptée aux modes d’exploitation actuels des œuvres, et qui renforce la sécurité des titulaires de droits.