Une fois n’est pas coutume, c’est un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation en droit des marques qui a retenu notre attention. Cet arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 10 septembre 2025, concernant la semelle rouge Louboutin, marque de position emblématique, confirme sa distinctivité et marque une fermeté accrue en matière de sanctions pénales.
Les faits : une saisie douanière révélatrice
À l’origine de l’affaire, un contrôle réalisé par l’administration des douanes dans les locaux d’une société. Les agents découvrent notamment douze paires de chaussures semblant contrefaire la célèbre semelle rouge de Louboutin, ainsi que 628 sacs paraissant contrefaire une autre marque.
La cour d’appel de Paris avait retenu la responsabilité de la société et de son gérant pour importation en contrebande, détention et mise en vente de marchandises contrefaisantes. Les sanctions prononcées étaient particulièrement lourdes :
- 15 000 € d’amende délictuelle à l’encontre de la société,
- un an d’emprisonnement avec sursis pour son gérant,
- une amende douanière de 100 000 €,
- et, au civil, 120 000 € et 5 000 € de dommages-intérêts alloués aux titulaires des marques.
C’est cet arrêt qui a fait l’objet du pourvoi examiné par la Cour de cassation.
Une marque de position désormais solidement ancrée
Depuis plus de quinze ans, la semelle rouge des chaussures à talons Louboutin est au cœur d’une saga judiciaire qui a façonné la jurisprudence en matière de marques non traditionnelles. Déposée comme marque de position, la semelle colorée a d’abord suscité des débats sur sa validité avant d’être consacrée par les juridictions européennes et françaises.
La CJUE (12 juin 2018, C-163/16, Louboutin / Van Haren) a tranché : il ne s’agit pas d’une « forme » au sens de l’interdiction d’enregistrement, mais d’une couleur appliquée en un endroit précis, apte à constituer un signe distinctif.
La chambre commerciale de la Cour de cassation (18 mai 2022, n° 20-20.948) a confirmé cette analyse en validant la distinctivité de la semelle rouge sur le sol français.
La cour d’appel de Paris (18 septembre 2024) est allée plus loin en jugeant que même des semelles partiellement rouges pouvaient constituer une contrefaçon en raison de l’impression d’ensemble perçue par le consommateur.
L’arrêt du 10 septembre 2025 : l’entrée en scène de la chambre criminelle
Dans son arrêt du 10 septembre 2025 (n° 24-81.914), la Chambre Criminelle écarte sans hésitation le moyen des prévenus contestant la distinctivité de la semelle rouge, en affirmant :
« L’application d’une couleur spécifique, identifiée par son code Pantone, en un endroit précis de la semelle, à l’exception du talon, présente un caractère fantaisiste, et par conséquent arbitraire, dans le secteur concerné (chaussures à talons), apte à les distinguer comme étant des Louboutin. »
Cette formule est significative : la chambre criminelle partage la vision de la chambre commerciale et des juridictions spécialisées, confirmant une cohérence jurisprudentielle sur la distinctivité de ce signe.
Fermeté sur les sanctions et rigueur sur la motivation
L’arrêt se distingue également par sa portée répressive :
- Il confirme la lourde condamnation prononcée par la cour d’appel de Paris (amende délictuelle de 15 000 €, amende douanière de 100 000 €, peine d’un an de prison avec sursis pour le gérant).
- Il rappelle que le cumul des sanctions pénales et douanières est possible, tant que le principe de proportionnalité est respecté : le montant cumulé ne doit pas dépasser la peine la plus élevée encourue.
- En revanche, la Cour casse partiellement l’arrêt d’appel sur les dommages-intérêts civils, faute de motivation suffisante. La chambre criminelle insiste : les juges du fond doivent expliciter les critères retenus au titre de l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, ou constater l’existence d’une demande d’indemnisation forfaitaire.
Loin de rouvrir le débat sur la validité de la semelle rouge — déjà tranché —, la chambre criminelle contribue à consolider l’édifice jurisprudentiel en marquant une cohérence entre les différentes branches de la Cour de cassation. Son apport majeur réside dans le renforcement du message répressif adressé aux contrefacteurs et dans l’exigence de motivation renforcée en matière de réparation civile.
En définitive, la semelle rouge apparaît plus que jamais comme un symbole protégé du luxe et un cas d’école pour la protection des marques de position.