L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 14 mai 2025 (n° 23-23.060) s’inscrit dans la délicate articulation entre le droit de la consommation et l’action en concurrence déloyale.
La Cour énonce, dans des termes particulièrement nets, qu’« une pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs, ne peut fonder une action en concurrence déloyale que si cette pratique est prohibée par les articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation » (pt 13). Autrement dit, lorsqu’un acte se situe dans le champ harmonisé par la directive 2005/29/CE, c’est le droit de la consommation qui doit primer.
En revanche, la Haute juridiction ajoute aussitôt qu’« une pratique commerciale qui ne présente pas un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs, peut, si elle apparaît fautive, emporter la condamnation de son auteur sur le fondement de la concurrence déloyale » (pt 13). L’autonomie de l’article 1240 du Code civil subsiste donc, mais dans un espace résiduel : celui des pratiques purement concurrentielles (désorganisation, parasitisme amont, pratiques B2B).
La solution a le mérite de clarifier le champ d’application respectif de ces deux ensembles normatifs. Mais elle ouvre aussi de nombreuses interrogations. Quid des pratiques dites « mixtes », qui touchent à la fois les concurrents et les consommateurs ? Comment traiter, par exemple, des allégations trompeuses diffusées sur un site internet destiné aux professionnels mais accessible au grand public ? L’arrêt reproche d’ailleurs à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si les pratiques incriminées présentaient un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs » (pt 15), ce qui laisse entrevoir des difficultés de qualification devant les juges du fond.
Autre apport notable : la Cour rappelle que « tout acte de concurrence déloyale fait nécessairement présumer un préjudice, fût-il seulement moral » (pt 16-18). Ici encore, elle sanctionne la cour d’appel pour avoir exigé la preuve d’un dommage, ce qui renforce la protection du demandeur en concurrence déloyale – tout en l’obligeant, en amont, à franchir le filtre du droit de la consommation lorsqu’il existe un lien direct avec les consommateurs.
Plutôt qu’une fermeture, c’est donc une reconfiguration qui s’amorce : la concurrence déloyale n’est pas évincée, mais elle doit désormais se loger dans les interstices laissés libres par le droit de la consommation. Reste à voir comment les juridictions du fond traceront la frontière entre ces deux régimes et s’il subsiste, à terme, un espace d’autonomie réelle pour la concurrence déloyale.