Refus de marque par l’EUIPO : application de l’article 7(1)(f) RMUE et prise en compte de la langue russe

L’EUIPO refuse une marque en langue russe jugée contraire à l’ordre public et rappelle l’application de l’article 7(1)(f) RMUE aux marques de l’UE.


Une marque refusée pour contrariété à l’ordre public

Le 5 juin 2025, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a refusé la demande d’enregistrement de la marque Ebanat (n° 019119129).

La décision s’appuie sur l’article 7, paragraphe 1, point f) du Règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE), qui interdit l’enregistrement des marques contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

La marque « Ebanat », translittération du mot russe « ебанат », a été jugée offensante, car elle correspond à une insulte vulgaire équivalente à “imbécile” ou “demeuré”.


Le russe, une langue pertinente pour l’examen des marques de l’UE

Bien que le russe ne soit pas une langue officielle de l’Union européenne, l’EUIPO rappelle qu’il doit être pris en compte lorsqu’il existe une communauté linguistique significative susceptible d’être offensée.

Pourquoi le russe est pris en compte par l’EUIPO dans l’examen des marques

L’EUIPO considère que le russe est une langue pertinente dans l’examen des marques de l’Union, même s’il ne figure pas parmi les 24 langues officielles. Cette approche repose sur deux arguments principaux :

  1. Présence de communautés linguistiques significatives dans certains États membres : notamment dans les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), ainsi qu’en Allemagne, où plusieurs millions de personnes parlent le russe au quotidien. Pour ces consommateurs, un terme russe a une signification immédiate.
  2. Application de l’article 7(2) RMUE : une marque peut être refusée même si elle n’est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs que dans une partie du territoire de l’Union. La présence d’une communauté linguistique suffisamment importante suffit donc à justifier un refus.

Ce raisonnement avait déjà été confirmé par le Tribunal de l’UE dans l’arrêt du 19 juillet 2017 (T-432/16, медве́дь (fig.)), qui a reconnu la nécessité de prendre en compte le russe dans l’examen des marques, au même titre que les langues officielles.

En pratique, cela signifie que les déposants doivent élargir leur analyse linguistique à des langues non officielles mais largement comprises dans l’Union, sous peine de voir leur marque rejetée.


Les principes de l’article 7(1)(f) et 7(2) RMUE

L’article 7(1)(f) RMUE exclut de l’enregistrement les signes :

  • contraires à l’ordre public,
  • ou aux bonnes mœurs,
  • même si cette contrariété ne concerne qu’une partie du territoire de l’Union (article 7(2)).

La jurisprudence a précisé ces principes :

  • Refus pour les signes à caractère raciste, injurieux ou discriminatoire (Paki, T-526/09).
  • Refus pour les signes faisant l’apologie du terrorisme ou de la criminalité organisée (Bin Laden, T-346/07 ; La Mafia se sienta a la mesa, T-1/17).
  • Analyse contextuelle pour les marques simplement vulgaires, qui peuvent être admises si elles sont socialement acceptées (Fack Ju Göhte, C-240/18 P).

L’évaluation repose toujours sur la perception du public pertinent, qui peut être restreint à une communauté linguistique particulière.


Conséquences pratiques pour les déposants de marques

Cette décision illustre deux enseignements essentiels pour les entreprises et praticiens du droit des marques :

  1. L’ordre public et les bonnes mœurs demeurent des limites strictes à la protection des marques de l’UE.
  2. Il est indispensable de vérifier la signification linguistique et culturelle d’une marque, non seulement dans les langues officielles de l’UE, mais aussi dans d’autres langues largement comprises (comme le russe).

Un audit linguistique avant le dépôt peut éviter un refus pour contrariété à l’ordre public et sécuriser la stratégie de protection des marques.